Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Le crapaud
11 avril 2008

L'aveu de Bernadette

J’ai pourtant bien cru qu’elle allait partir comme les autres, la petite. Quand elle m’a vue la première fois, elle s’est accrochée à son petit sac comme un étranger à son passeport quand il est en dangerosité (on dit ça ?), bref comme quand on est en dangerosité dans un pays qu’on connaît pas et que la seule pensée qu'on a c'est de prendre un avion et de rentrer vite fait chez soi. Elle en menait pas large, Béatrice, elle avait les jambes qui flageolaient, elle serrait son petit sac tellement fort qu’il en transpirait. Puis elle a dit “non.” Puis elle a fait demi-tour avec son petit sac dégoulinant de peur et elle a ouvert la porte d’entrée pour partir. Et puis, c’est ça qui a tout changé, elle s’est arrêtée sur le pas de la porte. Je l’ai vue se demander si elle aimait assez Pierre pour accepter ça. Quand je dis “ça”, entendez “moi”. Voilà, elle s’est demandé si elle pouvait m’accepter moi, la “mère”, vivre avec moi, avec “ça” comme elle disait, entre elle et lui. Ça a duré quoi, cet hésitement ? Cinq secondes ? Je dirais même pas. Mais ça a tout chamboulé. Béatrice est plus intelligente que les autres filles qui sont tombées dans la vie de mon fils. Elle a compris que je serais pas enquiquinante comme la plupart des belles-mères, qu’elle avait qu’à me parler de temps en temps et me laisser regarder la télé pour que tout se passe bien entre eux. Alors elle a fermé la porte et elle est revenue gentiment s’asseoir à côté de moi sur la canapé. Et ça m’a fait chaud à l’âme de savoir qu’on allait être malheureux tous les trois ensemble. Chez nous, ça rend pas heureux, l’amour, ça rend grand, ça rend différent, mais heureux jamais, non. Mon fils, il est malheureux depuis même avant d’être né. Lui il ne peut donner que de l’amour qui prend, parce que c’est de l’amour qui eu trop faim, vous comprenez. Et l’amour qui a eu trop faim, il peut jamais oublier les “je t’aime” avec personne au bout. Alors quand il aime le Pierre, il donne trop et il prend tout, c’est les vasques communicantes comme on dit. Je sais ce que vous pensez, que c’est ma faute, c’est toujours la mère, c’est ce qu’y disent, les psys, c’est la mère qui a pas fait un truc à un moment donné, qui fait que le cœur de son fils c’est comme un gros trou que t’arrives pas à remplir. Je voulais lui dire, à Béatrice, que c’était ma faute, que je regrettais d’avoir fait ou pas fait ce que j’ai fait… et puis que j’allais me faire toute petite, que j’allais même disparaître pour les laisser s’aimer un petit bout de chemin de vie. Mais j’ai rien dit. J’étais trop contente de me sentir moins seule avec mon fils. Et puis j’ai senti qu’elle allait être mon amie, qu'on allait drôlement bien s'entendre toutes les deux. Et que ça le rendrait fou, le Pierre.
Publicité
Publicité
Commentaires
Le crapaud
Publicité
Archives
Publicité